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Conclusion générale

 

 

Au cours du siècle qui vient de s’achever, l’élan vers l’unique mélodie «primitive, originale, authentique, dont toutes les autres versions ne [seraient] que la corruption»[1] est finalement venu s’épuiser sur l’observation de centaines de témoins et la mise en valeur de leurs variantes, souvent pressenties comme des patrimoines locaux et nationaux.

 

Dans la première partie de cette recherche, en partant de Saint-Denis puis en explorant les traditions germaniques, bénéventaine et aquitaines, nous avons montré tout l’intérêt historique, musical et liturgique que présentent ces familles culturelles. Leur étude approfondie, secteur par secteur, et la recherche de leurs connexions mutuelles, basée sur l’observation des variantes de la tradition manuscrite, pourrait renouveler la carte historique du plain-chant médiéval, et même fournir de nouveaux éléments de réponse à de vieilles questions comme celle des origines du répertoire romano-franc et de ses relations avec le chant «vieux-romain».

Mais puisque la fin du xxe siècle s’est surtout penchée sur les témoins pris individuellement, nous avons surtout voulu montrer – à la suite des travaux de Dom Jean Claire – que l’étude comparée des variantes de la tradition manuscrite constituait un ressort puissant pour parvenir à une plus grande vérité dans notre connaissance des mélodies romano-franques.

En nous révélant dans un deuxième temps des passages mélodiques «difficiles», pour lesquels la tradition mélodique se disperse de façon exceptionnelle, les variantes manuscrites nous ont mis en contact avec une question dont l’étude ne fait que commencer : celle des échelles et intervalles natifs du répertoire romano-franc et des difficultés de leur représentation dans le système de la portée et des clés.

En raison de son lien intime avec une pratique vivante en plein exercice, la tradition manuscrite comporte en outre une incertitude majeure, relative à la notation du degré mobile. Parfaitement intégrée dans la mémoire des chanteurs et les réflexes de la communauté, la qualité du si n’est guère représentée dans les premiers manuscrits. Quand elle commence à être notée, elle est le lieu de nombreuses variantes d’écriture qui l’ont fait considérer comme un défi majeur pour les éditeurs. Pourtant, l’étude approfondie, manuscrit par manuscrit, des moyens mis en œuvre par les différents copistes, et la critique de leur cohérence nous ont permis, dans un très grand nombre de cas, de lever cette incertitude.

 

Mais, au-delà de ces champs de recherche, notre étude s’ouvre sur des horizons beaucoup plus larges.

 

Interactions entre notation et transmissions orales. La question n’est pas nouvelle. Les inventions pédagogiques de Gui d’Arezzo, qui parvint à faire chanter à Jean XIX un verset qu’il n’avait jamais entendu, ont eu des conséquences incalculables pour l’histoire de la musique occidentale. Les débat passionnés sur les rapports entre tradition orale et tradition écrite, dans lesquels les musicologues de la deuxième moitié du xxe siècle semblent s’être un peu laissés enfermer, pourraient trouver un regain d’intérêt à la lumière de l’étude des variantes.

Les processus de composition. Devant les différentes facettes régionales d’une antienne, il est parfois difficile de discerner s’il s’agit de variantes de la même antienne ou de pièces différentes. Même si les lois modales et rythmiques qui gouvernent l’association des formules entre elles nous sont assez familières, l’élaboration du répertoire des antiennes a fait appel à des processus de composition qui nous sont encore très largement inconnus, car étrangers à l’histoire musicale postérieure de l’Occident. La comparaison avec certaines musiques traditonnelles actuellement en usage pourrait nous aider à comprendre ce que représentait la composition d’une antienne dans une communauté des débuts du Moyen Age.

 

L’un et le multiple. Au moins pour les pièces les plus anciennes du répertoire romano-franc (de façon différenciée pour le Propre de la messe et pour l’office), le nombre et la qualité des variantes géographiques et culturelles ne parviennent pas à faire oublier l’étonnante unité qu’une pièce de chant peut présenter à travers toute l’Europe occidentale.

Aujourd’hui, la recherche illusoire de la mélodie authentique a largement cédé la place à l’étude des traditions particulières. Entre la démarche platonisante qui remonte vers la très hypothétique mélodie authentique et un examen pratiquement matérialiste des variantes locales, nous espérons ouvrir le chemin d’une étude plus dynamique des variantes.

Il est à espérer que des chercheurs se pencheront sur l’énigme de cette unité diversifiée. Sans aucun doute, ce sont les variantes de la tradition manuscrite qui les y aideront.

Solesmes, le 3 juin 2005

 

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[1] J. Gajard, «Les récitations modales des 3e et 4e modes dans les manuscrits bénéventains et aquitains», Etudes grégoriennes 1 (1954), 45.

 

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